Atome #3

— Tibiliiii toumtoum rawaaaahoungaaaa zoumzoumzoum yihaaaa.
Tout le monde se tint immobile, feignant ne rien avoir entendu. Sauf la petite.
— Dis papa, c’est quoi ça ?
Le père pressa délicatement la petite main qu’il tenait dans sa grande. Simultanément, il plaça l’index de l’autre main à la verticale devant ses lèvres pincées.
— Chuuuuuut, laissa-t-il filtrer.
— Tibiliiii toumtoum rawaaaahoungaaaa zoumzoumzoum yihaaaa.
— Quoi, papa, c’est quoi ?

— Tibiliiii toumtoum rawaaaahoungaaaa zoumzoumzoum yihaaaa.
— Allez, papa, c’est quoi ?
— Tibiliiii toumtoum rawaaaahoungaaaa zoumzoumzoum yihaaaa. Tibiliiii toumtoum rawaaaahoungaaaa zoumzoumzoum yihaaaa. Tibiliiii toumtoum rawaaaahoungaaaa zoumzou…
— Ouais ? fit une voix, de celles qu’on attribue aux forces élémentaires.
Profitant du fait que le principal intéressé ait dirigé son attention ailleurs, le père s’accroupit devant sa fille pour lui répondre.
— Ça, pucette, c’était une sonnerie de GSM débile.
— Ah ?
La voix élémentaire avait maintenant définitivement entamé un échange avec son interlocuteur invisible. La petite était en reste.
— C’est quoi « débile », papa ?
Le père refit le geste de l’index, tout en jetant du coin de l’oeil un regard vers le possesseur de la voix élémentaire.
— On ne dit pas des choses comme, ça, pucette.
— Mais c’est toi qui l’as dit, papa ! Tu as dit « débile ». C’est quoi, papa ?
— Fais comme si je n’avais rien dit. Ce n’est pas débile, c’est ridicule.
— Ah ? Débile, c’est pas ridicule, alors ? C’est ridicule, le bruit du monsieur ?
— Chuuuuut, pucette. On ne dit pas du mal des gens comme ça !
— Mais papa, je dis pas du mal des gens. J’essaie juste de comprendre ce que tu m’expliques.
La voix élémentaire s’était tue pour repartir de plus belle. Elle ne s’adressait plus à un interlocuteur
invisible.
— C’est de moi que vous parlez ?
Le père se redressa.
— C’est un malentendu, Monsieur.
— Non, j’ai très bien entendu. Vous avez dit « débile » et « ridicule ».
— Ma fille ne se rend pas toujours compte de ce qu’elle dit, vous savez.
— Votre fille ? Et vous ?
— J’essayais de lui expliquer…
La voix élémentaire se tourna vers l’enfant.
— « Débile », ma grande, ça veut dire « pas très intelligent ». Et quelque chose de « ridicule », c’est quelque chose qui fait rire.
— Ah ? C’est vrai qu’il fait rire, votre bruit de gé-èmesse.
La petite et la voix partirent de concert en un éclat aussi soudain qu’improbable. Le père esquissa un sourire tendu. L’homme à la voix élémentaire se tourna vers lui, la bouche encore étirée par la bonne humeur.
— Vous devriez prendre exemple sur votre fillette, mon gars.
— Je… Je n’y manquerai pas.
— Allez, fillette. Occupe-toi bien de ton papa.
— Dis, Monsieur, c’est pas vrai qu’il est pas très intelligent, votre bruit, d’ailleurs.
L’homme à la voix s’éloigna sur un clin d’oeil à la fille. Le père regarda, interdit, sa fille le saluer. La fille se tourna vers son père en souriant.
— Il est gentil, hein, papa ?
— Il est très gentil, pucette… Oui, très gentil.
[Atome original]


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