Ion #1 < Collision #1 - Geoffrey

Le craquement résonna dans la grotte, durant ce qui sembla à Geoffrey une interminable minute. Ce devait être l’écho qui provoquait cette distorsion temporelle. Mais une minute, quand même… Il ne fallait pas exagérer.

« Ça fera trois cents unités tout rond. »

Geoffrey se releva d’un coup. Il avait beau connaître les tarifs, il avait toujours un peu de mal à encaisser le passage à la caisse. Son ostéopathe – ou chiropraticien, ou même chiropracteur, il n’était jamais sûr – était le meilleur à des milles à la ronde, rien à redire là-dessus. Mais trois cents unités, quand même… Il ne fallait pas exagérer.

« Docteur » ou Monsieur, il n’était jamais sûr du titre qu’il fallait lui donner, « j’apprécie énormément vos talents et je vous suis redevable. »

« Geoffrey, vous n’allez pas me refaire le coup à chaque visite, si ? »

La mèche de Geoffrey avait été éventée. Qu’à cela ne tînt, il s’en sortirait, comme chaque fois.

« Vous connaissez ma condition, Docteur. Ces trois cents unités sont amplement au-dessus de mes moyens. »

« Je pensais que vous reveniez parce que vous aviez changé de condition. Vous connaissez parfaitement mes tarifs, depuis le temps ! »

« Là n’est pas la question. Attendez, voici ce que je vous propose. » C’était ici que se jouait toute l’astuce. Geoffrey sortit son portefeuille et l’ouvrit.

« Ah, je vois que vous entendez raison. »

Il en sortit un morceau de papier, plié en trois. Il comptait faire appel à la sensibilité de l’ostéopathe. Il le déplia délicatement, sous les yeux curieux du praticien.

« C’est une Trinité Primaire. Une reproduction, bien sûr, mais de très bonne qualité et très rare. L’Argus Mystique officiel le cote à sept cents unités. Je vous prie de l’accepter en rémunération de votre prestation exceptionnelle. »

Le chiropraticien semblait perplexe. Il tendit la main vers le fragment déplié et l’effleura du bout de l’index.

« C’est vraiment une Trinité Primaire ? »

C’était gagné.

« Bien sûr ! Je l’ai acquise par un Prélat de mon urbicentre. J’ai tout de suite été séduit. Je vois qu’elle vous plaît également. »

« Je dois dire que je suis impressionné. Je n’en avais jamais vu d’aussi près. Alors, en toucher une… »

« Elle est à vous. Je n’ai pas de liquide, mais je vous cède volontiers cette beauté si vous l’acceptez en paiement. »

« C’est que… vous m’honorez. Je ne suis pas certain de pouvoir accepter un tel paiement. »

« Pour moi, c’est tout accepté. Je suis confus de vous mettre dans l’embarras par ma condition détestable. C’est la moindre des choses que je puisse faire. »

« Parfait pour moi, alors. »

L’ostéopathe semblait ravi. Geoffrey l’était amplement, mais s’efforçait de ne pas trop l’afficher.

« Marché conclu. C’est un plaisir de se faire traiter par vous ! »

« Je vous en prie. »

Les deux hommes s’échangèrent une poignée de main ferme et chaleureuse. Geoffrey se dirigea vers la sortie de la grotte, évitant les accidents du relief et les flaques vaseuses. Arrivé à la porte, il l’ouvrit. L’air froid s’engouffra sèchement dans la baie. Geoffrey sortit, luttant contre le courant. Au moment de refermer la porte derrière lui, il aperçut la Trinité s’échapper des mains du praticien pour s’envoler en une arabesque improbable. Il ne voulait pas en voir plus ; il claque la porte. Il entendit alors un cri venant de l’intérieur – ou deux cris, s’il fallait être précis. « Nooooooon ! Geoffrey ! » Il fit mine de ne rien avoir entendu. Il voulait bien être bonne poire. Mais quand même, une deuxième fausse Trinité… Il ne fallait pas exagérer.

[À l’origine de la collision #1]


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